La lettre du capitaine Spécial
Trois brefs paragraphes et, au sommet, l’en-tête de la police – sans doute sa destinatrice a-t-elle été d’abord parcourue par ce petit frisson qui saisit l’honnête citoyen lorsque les autorités s’intéressent à lui. C’est un capitaine qui écrit à la jeune femme. Un certain jour d’automne, lui rappelle-t-il, «vous avez sollicité nos services pour une jeune fille aux idées funestes qui se trouvait du mauvais côté de la barrière» d’un pont et «vous aviez entamé une négociation» – façon policière d’évoquer un café proposé en vain et les paroles échangées.
Après l’arrivée des forces de l’ordre, la jeune fille est «revenue du bon côté de la barrière», ajoute-t-il. Et «par ces quelques lignes, conclut le capitaine, nous tenons à vous remercier pour votre attitude citoyenne». Fin de l’histoire. Pour la jeune femme aussi. Inutile d’en parler dans un éditorial: «C’était normal. Je ne vois pas ce que tu veux écrire», s’étonne-t-elle.
«Nous tenons à vous remercier pour votre attitude citoyenne.»
Il est vrai qu’il aurait été possible de parler de toutes sortes d’autres choses – les sujets ne manquent pas. Et il y a de réels héros, souligne-t-elle pour sa part, comme ce guide descendu secourir un skieur dans le creux d’un glacier sans être formé pour cela. Cela est également vrai. Mais la lettre du capitaine a aussi son importance. Elle parle d’une main tendue. Et elle fait songer à beaucoup d’autres encore. Celle, par exemple, d’un jeune homme qui, au dernier kilomètre d’une course populaire, offre à un coureur en difficulté la bouteille d’eau qu’il venait, lui-même à la peine, de recevoir d’un samaritain.
Combien de paroles, combien de gestes contribuent-ils chaque jour à rendre une vie un peu moins lourde à porter, voire la sauvent? Des milliers? Des millions. Conscients ou non, grands ou petits, ils font pencher la balance du bon côté. Et il nous arrive à tous de prononcer de telles paroles, de poser de tels gestes. Dans la discrétion, dans le secret, sans même nous en apercevoir. Parce que c’est «normal». Alors, puisque rares sont les courriers qui le soulignent, comme le capitaine, nous tenons à vous remercier, vous aussi, pour ces paroles et pour ces gestes.